Catégorie : | Exposition |
Prochaine date : | 24/01/2025 > 15/06/2025 |
Lieu : |
Hangar Place du Châtelain, 18 1050 Ixelles |
Texte d’introduction par Michel Poivert Qui a peur de l’intelligence artificielle ? Les photographes peut-être mais pas tous ! En matière d’IA, la photographie reste un modèle. L’aspect photoréaliste des images rappelle que la production de données visuelles se nourrit des photographies stockées dans les mémoires numériques. Même s’ils ne font plus de prise de vue, les photographes peuvent toujours créer à partir des entités contenues en réserve. Au-delà du folklore des hypertrucages (deep fake) auquel on réduit souvent l’image par IA, les photographes explorent ici les potentialités de la technologie dans sa capacité à imaginer le monde. Dicible/Visible Les IA génératives qui sont au cœur de l’exposition produisent selon le principe text to image. La puissance des IA vient de leur capacité à apprendre grâce au modèle des neurones profonds. Le « deep learning » est opéré par les réseaux antagonistes génératifs (GANs) qui sont des algorithmes d’apprentissage. Après un entrainement dans un centre de données, elles peuvent générer un contenu à partir d’une requête en langage naturel (et non par un code), ce que l’on appelle un prompt. Mais où les IA vont-elles rechercher les milliards de données à partir desquelles vont se générer les images ? Dans les espaces latents. Le terme rappelle « l’image latente » en photographie analogique, celle que l’on ne voit pas sur la pellicule et qui est développée au laboratoire. Les espaces latents sont des lieux invisibles où l’on a associé un mot à chaque image (indexation). Puis ces binômes sont encodés et peuvent être retrouvés dans un espace à multiples dimensions, grâce à leurs coordonnées. L’espace latent est donc un réservoir dynamique de données, qui peuvent être reliées entre elles en fonction des requêtes que nous leur adressons. Par principe, il ne s’y trouve que ce qui y a été enregistré. En revanche, les combinaisons sont innombrables et fonction de l’instant T. Les images par IA sont des sortes d’instantanés pris dans l’espace latent. Mais des filtres y imposent des limites. Les sujets « inappropriés » pour des raisons morales ou politiques, par exemple, sont évacués. Les photographes deviennent avant tout des créateurs de textes (prompts). Le langage est dit « performatif » : ce qui est dit devient une image. On passe ainsi de la photographie (l’écriture par la lumière) à la promptographie. L’art de la description prend le pas sur la création visuelle. Alors que jusqu’à présent la légende d’une image arrivait après la production visuelle. Ce poids des mots fait du dicible la condition du visible. Pour les photographes, un jeu s’instaure face à la réponse que l’IA produit à partir du prompt. Celui- ci peut être affiné au fur et à mesure des requêtes pour emmener l’IA vers un résultat convaincant. Les surprises ne manquent pas et l’IA produit de nombreuses invraisemblances appelées « hallucinations » ou « confabulations ». Comme en psychologie, il s’agit d’une erreur de mémoire qui se donne pour vrai. Les artistes peuvent les exploiter esthétiquement. C’est à cela que l’on reconnaît une image générée par un algorithme : elle est une machine à fabriquer des chimères. Récursivité/Uchronie Les algorithmes génératifs permettent d’explorer notre imaginaire. En utilisant les données des espaces latents, ils révèlent les contenus de notre culture visuelle. Ne s’agit-il pas, en quelques sortes, d’aller photographier dans notre mémoire collective ? Image des images, les « photographies » générées par l’IA sont le miroir de nos imaginaires. Les photographes peuvent ainsi revisiter notre histoire et bâtir des scénarios. C’est une partition visuelle qui s’écrit à partir d’une récursivité, c’est-à-dire un retour permanent sur ce qui est « déjà là ». Est-on si loin de la définition de la photographie que donne Roland Barthes dans La Chambre claire, le fameux « çà-a-été » ? Sauf que dans les espaces latents, l’expérience du réel est déjà médiatisé par les images et les mots... En pleine crise de la vérité, le faux et le vrai sont devenus interchangeables. Les photographes optent pour une troisième voie, celle de l’imaginaire d’anticipation. On peut parler de « fiction alternative », l’illusion du vrai n’est pas un but. Parce qu’il s’agit d’imaginer des mondes possibles plus que d’échapper à la réalité. La photographie découvre ainsi une autre face de son pouvoir : le recours à un au-delà du réel repeuple notre imagination et (ré)génère les images et les récits dont nous avons besoin. Le temps de l’IA est celui de l’uchronie : une réécriture de l’histoire à partir de la modification du passé. On ne s’étonnera pas que certains photographes revisitent l’histoire même de la photographie et plus largement la question de l’archive. Les mémoires numériques offrent un dédale infini et abritent le potentiel d’images au caractère fantomatique. Celles-ci sont des sortes de revenants qui perturbent notre rapport au temps. L’aspect rétrofuturistes des photographies par IA provient de cette inversion des polarités temporelles. En revanche, la plasticité des formes donne un style « liquide » inédit aux contenus nés d’un brassage des données propre à l’ingénierie numérique. L’IA propose ainsi une morphogénèse des images, qui leur confère les apparences du vivant. Utopie/Dystopie ? Quels mondes nous permet d’imaginer l’IA ? Un univers aliénant de nos mémoires reconfigurées, ou bien la promesse émancipatrice de nouveaux récits ? Les êtres chimériques sont des cyborgs inquiétants et des robots indomptables. Mais ils peuvent tout aussi bien révéler des figures fantastiques réparant nos traumatismes. Les photographes ont ici un rôle central. Leurs créations nous disent les potentialités de l’IA tout autant que leurs limites. Ils nous révèlent leur nature spectrale. Ceux qui furent longtemps les témoins du réel avec la photographie documentaire sont devenus des chamans activant des voyages dans l’espace- temps. L’IA « photographique » ne correspond pas à l’idée de progrès. Le potentiel visuel que les photographes explorent de leurs récits ne dévoile pas un futur où le monde serait plus moderne. C’est l’idée même de futur qui est dépassée. Les mondes possibles de chaque artiste sont plutôt des formes de probabilités. Que nous apprend l’IA sur la photographie ? Peut-elle qu’elle n’a jamais été l’art du réel que l’on a cru. Post- photographes ou néo-photographes, promptographes plus certainement, les artistes nous offrent ici une approche alternative des images à l’heure de l’économie de l’attention. Pour eux, on ne peut plus regarder sans imaginer. - Michel Poivert, historien de la photographie et co-curateur de l’exposition AImagine
Vernissage |
jeudi 23 janvier 2025 de 17:30 à 20:30 |
Date |
24/01/2025 > 15/06/2025 lundi et mardi: fermé mercredi, jeudi, vendredi, samedi et dimanche: de 12:00 à 18:00 |
Lieu |
Hangar Place du Châtelain, 18 1050 Ixelles http://www.hangar.art |
Informations & Réservations |
https://www.hangar.art/ Téléphone : 32 (0)2 538 00 85 Email : contact@hangar.art |
Organisé par |
Hangar |